RENFORCER la prérogative et libérer le potentiel des experts-comptables
Sous titre
S’ENGAGER concrètement dans l’attractivité de la profession
La simplification est-elle possible ? Est-elle un risque pour nos cabinets (relèvement de seuils des micro, franchise en base, suppression de cerfa…) ?
Depuis 50 ans, tous les gouvernements ont tentés, sans aucun succès réel, de réduire l’inflation législative et normative. En 1974, Jacques Chirac alors Premier ministre annonçait dans son discours de politique générale « Nous ne sommes pas parvenus à maîtriser l’envahissement paperassier, qui est une forme d’aliénation et promettait des « actions radicales »…
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Autant dire que depuis 50 ans, la France est devenue un asile d’aliénés modernes malgré les « Commissions pour la simplification », les « Assises nationales de la simplification », le « Choc de simplification » et autres « Grenelle de la simplification ». Selon Caroline Sordet, directrice du pôle édition de Lefebvre Dalloz, citée par Le Point, « depuis 1980, le Code du travail s’est étoffé de 2.281 pages, le code pénal de 2.467 pages et celui de l’urbanisme de 3.030 pages ».
Dans le Canard Enchaîné du 5 octobre 2016, Jean-Vincent Placé, secrétaire d’Etat à la Simplification de François Hollande, « ne se fait plus guère d’illusions sur l’utilité de son job » : « je trouve le système délirant, confie-t-il au « Canard ». Le moindre parlementaire pond des amendements comme un malade, histoire de se faire remarquer ! Moi, là-dedans, j’essaie de freiner, de mettre des sacs de sable partout, des digues pour arrêter l’inondation. J’écope avec une petite cuillère dans un océan. »
Si jusqu’à ce jour, personne n’a réussi à endiguer la marée montante des lois, décrets, règlements et autres tracasseries administratives, peut-être ne s’est-on jamais interrogé sur les vrais raisons de la complexité ?
La première raison est que nous vivons dans un monde de plus en plus complexe avec une accélération des changements de mode de vie qui crée de nouvelles situations laissant le législateur démuni. Celui-ci n’a donc comme recours que d’appliquer des patches à des textes désuets faute d’organiser un grand bigbang de la fiscalité. Les exemples ne manquent pas : locations meublées avec l’explosion du modèle AirBnb, déplacements avec Blablacar ou Uber, échanges de biens et de services transfrontaliers déplaçant la création de valeur à l’étranger… chaque innovation impacte les ressources budgétaires contraignant l’administration à réagir : documentation des prix de transfert, impôt minimum, réforme de l’imposition des LMP/LMNP… On complexifie car les situations sont elles-mêmes complexes, les situations sont complexes car la vie est complexe. Comment ne pas tenir compte des personnes en situation de handicap dans la construction et l’accès aux logements et aux services publics ? Est-il sérieusement possible de ne pas normaliser ou réglementer les externalités négatives en matière environnementale ? A chaque situation particulière, chaque problème, une réglementation s’impose, faute d’accuser les politiques de ne rien faire !
La deuxième raison est la poussée des intérêts catégoriels qui se transforment immédiatement en niches fiscales, exonérations ciblées, taxations particulières… le mal est connu depuis longtemps ! Quiconque a vu une déclaration 2042-RICI de 12 pages pour recenser les différentes réductions et crédits d’impôt sur le revenu comprend immédiatement le problème !
Troisième raison : La réforme de l’Etat et la construction d’un marché commun européen réalisent un transfert de la charge administrative sur les entreprises. La suppression des douanes oblige l’établissement par les entreprises de déclarations d’échanges de biens (DEB) et de services (DES). Alors qu’il suffisait il y a 20 ans d’adresser une première déclaration de TVA sur un imprimé vierge, l’administration se débrouillant pour en tenir compte, il faut désormais s’assurer d’avoir le bon code, les bons identifiants pour télétransmettre sous peine de rejet automatique par la machine… Le Point reprend le témoignage de Frédéric Lefebvre, secrétaire d’Etat chargé des PME de Nicolas Sarkozy à la tête des « Assises de la simplification » : « Je me suis vite rendu compte que les directeurs d’administration centrale freinaient des quatre fers, déplore-t-il. Car simplifier la vie des Français, c’est complexifier la leur. Ces hauts fonctionnaires disent oui à tout et ne font rien jusqu’à notre départ. Et ça marche presque à tous les coups ».
Enfin, le législateur navigue en permanence entre deux périls : les effets d’aubaine (création d’un avantage fiscal indu destiné à d’autres) et les effets pervers (taxation non désirée de certains alors qu’on en visait d’autres) : la Loi doit donc prévoir tous les cas de figures ! Prenons un exemple parmi tant d’autres : le dispositif de réduction d’impôt Madelin pour la souscription au capital des PME. Créé en 1994, l’article 199 terdecies-0 A faisait 487 mots. En 2024, il compte désormais 4.106 mots pour le même objectif, soit une inflation de 750% ! Entre temps, il a fallu respecter la règle des minimis, s’assurer qu’il s’agit d’une véritable entreprise en exigeant la présence d’un salarié, gérer le cas d’une liquidation de l’entreprise, prévoir l’hypothèse des sociétés interposées, interdire les investissements dans les métaux précieux, chevaux de courses, voiture de collection, vins et alcools, etc. Bref, jongler avec les cas particuliers et l’imagination débordante des contribuables cherchant à détourner un texte visant à aider à la création d’entreprise en une aide à la constitution de sa cave à vins !
Alors comment simplifier ?
Il n’y a en vérité que deux pistes faute de pouvoir agir véritablement sur les causes de la complexité :
• Pour la simplification administrative, l’espoir est dans la numérisation totale des échanges. L’arrivée de la facture électronique doit faire en sorte qu’à terme l’Etat dispose directement des informations nécessaires : plus de déclarations de TVA, de DEB et de DES à la charge des entreprises !
La numérisation des flux et l’IA vont considérablement simplifier la complexité administrative.
• Pour la simplification de la loi, l’externalisation de la complexité à des tiers (experts-comptables, avocats…) ou à travers la relation de confiance semble la seule solution en réalité. C’est ce qu’affirmait déjà Gérald Darmanin lorsqu’il était ministre de l’Action et des Comptes publics le 14 mars
2019 : « Dans un environnement juridique complexe et
changeant, [l’administration fiscale] est la seule capable d’apporter de la prévisibilité aux entreprises sur la manière dont les textes en vigueur s’appliquent à leur situation ».
Une déclaration stupéfiante en ce qu’elle reconnait que la législation est tellement complexe que l’administration est « la seule capable » d’y comprendre quelque chose… En réalité, une telle affirmation dans un État de Droit devrait empêcher de dormir tous nos politiques.
Il existe néanmoins un risque de simplification qui pourrait entrainer pour la profession un impact sur son chiffre d’affaires et qui consisterait à remonter les seuils des régimes micro…
On sait que les contribuables préfèrent la simplification à l’optimisation lorsque les montants en jeu sont relativement faibles. Ainsi, à l’occasion d’une question1 posée par la députée Valérie Rabault au ministre de l’Action et des Comptes publics, on apprend que sur les 30 millions de foyers imposables au PFU, 8 millions d’entre eux auraient eu intérêt à opter pour une imposition au barème progressif en cochant la case OP de leur déclaration de revenu (seulement 800.000 contribuables ont formalisé cette option). De la même manière, de nombreux auto-entrepreneurs auraient un intérêt à opter pour un régime réel ; leurs charges étant supérieures à l’abattement forfaitaire. Pour autant, combien font ce choix et acceptent de payer des honoraires ?
Ce qui nous protège d’une velléité soudaine du législateur de remonter sensiblement les seuils des micros, c’est d’une part l’impact budgétaire que cela entrainerait en sortant du champ de la TVA de nombreux redevables, la création d’une concurrence déloyale qui ne manquerait pas d’être dénoncée par les artisans et professions libérales assujettis mais surtout l’existence d’un seuil maximal européen interdisant aux auto-entrepreneurs dans les Etats membres de dépasser 85.000 € de chiffre d’affaires tant pour les livraisons de biens que pour les prestations de services.
Ce n’est donc pas la remontée des seuils qui dispensera de nombreuses petites entreprises de recourir aux services d’un expert-comptable mais bien les effets de la numérisation totale des flux qui pourrait entrainer, sur ces petits dossiers, une automatisation totale de la production de leur déclaration annuelle…
Tous les éditeurs développant des solutions de comptabilité en SAAS le confirme : la dématérialisation de l’ensemble des opérations (banques et factures) leur permet aujourd’hui d’automatiser intégralement la production comptable et fiscale… et aucune législation ne nous protégera des effets de la modernité !
Là encore, seule une vison volontariste, réaliste et opérationnelle à travers des parcours de formation, une montée en compétence, une diversification des missions permettra à chacun de relever le défi du numérique et de l’IA !
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