CONSTRUIRE une véritable indépendance numérique
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CONSTRUIRE une véritable indépendance numérique
La profession est-elle sous l’emprise des éditeurs ? Qu’est-ce que l’indépendance numérique ?
La relation avec les éditeurs est parfois complexe. D’un côté, ils nous apportent les outils nécessaires à notre production, ceux améliorant notre productivité. Mais en même temps c’est une dépense que nous intégrons dans notre marge et nous surveillons naturellement notre marge ! L’équilibre est donc parfois délicat à trouver.
L’indépendance est une valeur profonde de notre exercice libéral. Nous y sommes attachés. La numérisation de l’économie et de la comptabilité donnant un poids plus important aux outils nous met-elle sous l’emprise des éditeurs ?
Les outils numériques ont envahi notre quotidien au point qu’il n’est plus possible, par exemple, d’organiser un déplacement sans notre smartphone. On peut alors naturellement se demander si nous ne sommes pas dépendants de ce dernier. Il en est de même pour nos outils du cabinet.
La profession dispose aujourd’hui d’une offre d’outils la plus vaste qu’elle n’a jamais connue. Il y avait 48 solutions présentées au congrès de 2013 contre 138 en 2023. Nous avons un choix très large mais paradoxalement parfois le sentiment que nous sommes sous l’emprise des éditeurs. Certains ont des positions écrasantes, dominantes sur le marché. Mais cette domination, au cours de l’histoire, a changé. Ceux qui équipaient le plus de cabinets hier n’ont plus ce rôle aujourd’hui, ceux d’aujourd’hui ne l’auront probablement plus demain surtout s’ils ne respectent pas un partage de valeur cohérent avec nos cabinets.
Cet engouement pour un éditeur se produit lorsque ce dernier arrive à faire la différence, soit par une innovation technique, soit par un service nous apportant de la productivité. Il équipe alors une part importante des cabinets, avec une croissance exponentielle. Cette position en elle-même ne pose pas de souci sauf si ce dernier cherche à maximiser sa rentabilité ou à tenir des promesses de valorisations faites à des fonds ou parce que les associés veulent réaliser leur patrimoine. Le problème finalement se pose lorsque les cabinets et les éditeurs cherchent à obtenir un partage de valeur qui devient opposé et nous pouvons nous sentir sous son emprise car nos équipes, nos clients utilisent cet outil et ne veulent pas en changer. Nous non plus, le plus souvent, s’il reste encore l’outil nous apportant le plus de productivité !
Nos valeurs libérales, dont celle de l’indépendance nous poussent alors à ouvrir des opportunités à de nouveaux acteurs, nous cherchons à changer. Si l’on reproduit cette boucle, nous passons d’une dépendance à une autre ? Nous ne pouvons pas imaginer notre futur sans outils numériques. Ce n’est pas une question de dépendance à des éditeurs mais à la technologie et même en s’inspirant de Don Quichotte nous ne pourrons pas aller contre ce mouvement. Cela ne veut pas dire qu’il est temps de se résigner mais plutôt qu’il est important de placer l’indépendance numérique au bon échelon.
Promouvoir l’indépendance numérique au niveau de la profession n’est pas le bon angle. En effet, avec la variété du choix que nous avons, avec le nombre de nouveaux entrants que nous découvrons chaque année il n’y a pas de dépendance numérique de la profession, mais il peut y en avoir au niveau des cabinets. L’enjeu de la profession n’est pas son indépendance numérique, c’est un enjeu au niveau de chacun de nous. L’enjeu de la profession c’est la souveraineté numérique, mais une souveraineté utilisée au service de l’indépendance des cabinets.
L’INDÉPENDANCE NUMÉRIQUE DES CABINETS
L’indépendance numérique est un enjeu pour chacun de nous et de nos cabinets. Cela passe par une meilleure connaissance de notre environnement et aussi des technologies sous-jacentes. Ce n’est pas une question d’outil. Si je confie l’ensemble de l’organisation numérique de mon cabinet à un éditeur ou à un hébergeur, je me place en position de dépendance. C’est confortable, il faut le reconnaître, et très certainement efficace à court terme mais dangereux pour le futur. Comment agir en cas de défaillance, quel est mon plan de continuité d’activité ?
Comment garder la relation avec mes clients et rester l’interlocuteur principal ? Ce sont les questions à nous poser pour garder notre indépendance.
Sur le plan de la relation client, la digitalisation de nos clients a rendu l’exercice très délicat. En effet, nos clients utilisent des outils numériques pour leur quotidien et si nous décidons de changer d’outil, il faut désormais embarquer les clients dans cette décision en plus de nos équipes ! C’est un risque fort de dépendance du cabinet envers les éditeurs. Il est essentiel, pour garder notre indépendance, de maitriser cette relation de nos clients aux outils. Il y aura toujours des clients qui décideront seuls mais la majorité nous attend et nous écoute sur ces sujets. L’arrivée de la facture électronique va renforcer cette contrainte. Nous allons proposer une solution à nos clients mais avec les mouvements des clients entre les cabinets, d’ici quelques années nous aurons des clients avec plusieurs plateformes.
C’est un choix stratégique à faire pour chaque cabinet et il n’existe pas d’organisation idéale. Certains cabinets préfèreront le choix de la simplicité et d’utiliser un seul outil, pourquoi pas vendu par un éditeur aux clients, et ce même si cela le rend dépendant de son éditeur car c’est un choix qui lui apporte simplicité et confort. Si cette stratégie est choisie et assumée elle n’est pas mauvaise. C’est un positionnement de cabinet en connexion forte avec une solution technique.
L’offre actuelle permet aux cabinets qui ne souhaitent pas ce lien de dépendance de construire leur système d’information totalement différemment en séparant, ou en pouvant séparer plus tard, le logiciel utilisé en interne de l’interface client. Ainsi, la solution de facturation électronique ou de la pré-compta n’est pas nécessairement celle de l’éditeur du logiciel de production. Cela demande une organisation plus complexe pour le cabinet mais l’indépendance est à ce prix.
Quelle que soit la stratégie du cabinet, elle ne pourra être conduite que si nous maîtrisons les enjeux des choix technologiques. La connaissance est le seul chemin pour notre indépendance. Nous devons nous former sur ces matières informatiques, nous poser et anticiper tout aléa ou tout changement stratégique d’un éditeur.
L’indépendance c’est avoir la capacité de s’organiser pour changer, et aucun outil ne peut nous la garantir. Si certains cabinets ayant les ressources nécessaires se sont organisés pour disposer de leur propre outil, ce n’est pas une solution d’indépendance. En effet, nous pouvons comparer la détention de son outil à la gestion de nos équipes. Il y a une interaction avec nos équipes, nous confions des responsabilités à certains managers et créons ainsi une relation de dépendance. Elle est maîtrisée, ne nous enferme pas et donc saine. Créer son propre outil c’est aussi renoncer à certains outils extérieurs qui peuvent apporter des innovations que nous ne souhaitons pas développer ou qui n’intègrent pas le planning. Disposer de son propre outil au sein du cabinet ne supprime pas la dépendance à l’outil. Elle permet de la cadrer sur des problématiques de tarif mais nous rend dépendants des équipes de développement et d’une l’inflation salariale.
L’indépendance numérique de nos cabinets reste donc un choix guidé par une bonne connaissance de son organisation informatique. Elle ne peut être déléguée à un éditeur ou un hébergeur.
LA SOUVERAINETÉ NUMÉRIQUE DE LA PROFESSION
L’Ordre doit agir pour la souveraineté numérique de la profession permettant aux cabinets d’être indépendants numériquement. Il n’y a pas de sens à une indépendance numérique au niveau de la profession. Garantir notre souveraineté numérique, c’est agir pour favoriser la concurrence entre les éditeurs et ne pas laisser de barrière à l’entrée s’installer. En effet, cela augmenterait la dépendance des cabinets aux éditeurs en place.
Par ailleurs, la digitalisation de nos clients fait naître beaucoup de convoitises d’acteurs extérieurs à notre profession. La souveraineté numérique nous permettra, avec les éditeurs de garantir la place des experts-comptables auprès de nos clients. Il faut savoir choisir ses alliés et identifier ses concurrents.
La profession doit-elle détenir ses outils ?
C’est une question que nos confrères allemands se sont posée en 1966 en décidant de créer DATEV, l’outil de leur profession. Aujourd’hui, le bilan ne semble pas permettre de disposer d’un outil innovant assurant une indépendance des cabinets.
Par ailleurs, si on regarde l’histoire, de nombreux acteurs ont détenu leurs outils du temps de la micro-informatique (sur AS400 et consorts) mais ce n’est plus le cas depuis les années 2000 car les outils du marché sont devenus plus compétitifs.
Détenir son propre outil, pouvoir le définir comme on le souhaite est une stratégie qui peut être intéressante mais qui nécessite des fonds importants et donc exclut de nombreux cabinets. Si certains cabinets se regroupent pour suivre cette stratégie, cela conduit à faire naître un nouvel acteur, qui dynamisera la profession et proposera une nouvelle offre. C’est donc une initiative intéressante mais elle ne peut être réalisée au niveau de l’Ordre. Certes chacun est libre de choisir son outil mais un seul outil ne peut être financé avec les cotisations de tous.
L’initiative de Drakarys, si elle peut être saine lorsqu’elle est conduite par plusieurs cabinets car l’émergence d’un nouvel acteur stimule la concurrence, ne peut être justifiée si elle est menée par l’Ordre. En effet, créer un outil pour dominer le marché et « maîtriser le destin » est une action de souveraineté numérique et non d’indépendance. Elle conduit à créer des tensions au sein de notre écosystème et à nous détourner des menaces extérieures et des enjeux de demain comme la data et l’IA qui ne pourront être relevés qu’avec un écosystème qui avance ensemble : professionnels et éditeurs d’outils.
Pour les questions de tarif des solutions, en maintenant un écosystème dynamique et concurrentiel avec de nouveaux entrants nous créons des conditions de négociation pour chaque cabinet. Et c’est bien sur ce point que l’action de l’Ordre sera la plus efficace. La régulation des prix n’est pas possible.
Quelles solutions de souveraineté numérique ?
L’Ordre a réussi à maintenir sa souveraineté numérique sur les télétransmissions avec JEDECLARE au fil des années. Nous sommes incontournables sur ces sujets. Ce n’est pas la voie prise avec la facture électronique, les conditions au sein de notre écosystème n’ont pas permis de faire accepter un moteur de gestion des factures électroniques mutualisé avec les éditeurs (JEFACTURE) comme cela a été le cas pour les télétransmissions. Chacun s’est alors lancé dans la construction de sa propre PDP.
Nous avons devant nous des enjeux de data et d’Intelligence artificielle importants qui sont des axes de travail pour la souveraineté numérique de la profession. Il existe et existera plusieurs initiatives sur ces sujets et cela nous permettra, collectivement, d’avancer plus vite. L’Ordre doit apporter son soutien à tout l’écosystème, en proposant sur la data la mutualisation des initiatives autour d’un hub des datalake géré par notre profession. La data est un enjeu de souveraineté numérique, nous ne pouvons pas laisser d’autres acteurs ou les pouvoirs publics organiser les données produites par nos cabinets.
Sur l’IA, l’Ordre doit favoriser son déploiement et s’assurer que notre profession maitrisera cette révolution et en assurera l’exploitation dans nos cabinets plutôt que de laisser d’autres acteurs externes nous « remplacer par l’IA ». C’est également un enjeu de souveraineté pour notre profession.
La profession n’est pas à ce jour sous l’emprise des éditeurs, même si certaines positions dominantes peuvent imposer des décisions contraires à l’économie de nos cabinets. Nous devons mieux nous former pour garantir l’indépendance numérique des cabinets. L’Ordre, pour la profession, doit se concentrer sur les enjeux de souveraineté numérique de tout notre écosystème pour saisir les opportunités de demain : la data et l’Intelligence artificielle.
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